Natif du Béarn, Dorian est un pur produit du sud-ouest. Sa carrière a débuté tambour battant. Après des débuts en 2017 en novillada sans picador, 2018 est l’année de sa première novillada piquée. Il se présente à Madrid dès sa première saison. 2019 sera la temporada de l’alternative, mais aussi des difficultés et d’un rendez-vous manqué. En effet, alors qu’il était en train de revêtir son costume de lumières, Dorian est informé de l’annulation de la corrida, le ruedo de Bayonne étant impraticable à cause des conditions météorologiques. Le rebond sera possible quelques jours après à Villeneuve de Marsan qui l’avait contracté pour ce qui aurait dû être en fait sa deuxième corrida de toros. Bien malgré lui, les années Covid mirent un coup de frein brutal à son ascension. Il a pu à nouveau toréer en 2022 dans le sud-ouest, marquant les esprits notamment à Aire sur l’Adour, Villeneuve de Marsan et surtout un soir de septembre à Bayonne qui le vit triompher en grand d’un Pedraza de Yeltes.
Tertulias a rencontré ce jeune-homme (il aura 22 ans le 22 mars prochain) ambitieux et lucide avant que ne commence la temporada 2023.
Tertulias : « Revenons sur cette alternative prise en 2019. Comment as-tu vécu l’annulation de Bayonne et de la prendre « par défaut » à Villeneuve de Marsan? »
Dorian Canton : « Forcément très déçu, j’étais mentalisé pour ce moment. Quand on me l’apprend, j’étais en plus en train de m’habiller. Je n’ai pas eu trop le temps de cogiter, car il y avait le contrat de Villeneuve qui était signé une dizaine de jours après. Il fallait donc prendre une décision très rapidement. On y a réfléchi avec Olivier Mageste mon apoderado et trois jours après j’ai décidé de prendre l’alternative à Villeneuve. Je n’aurais pas eu forcément de novilladas à toréer derrière, donc ma saison risquait de se terminer et pas de la meilleure des manières. Le mieux pour moi, même s’il y avait moins de prestige que Bayonne, c’était de devenir matador de toros à Villeneuve. Ca fait partie du romantisme de la tauromachie. Et je suis très content d’avoir pris mon alternative là-bas! »
Tertulias : « 2 corridas en 2019, aucune en 2020, 1 en 2021, 6 en 2022. N’as-tu jamais regretté cette décision? »
Dorian Canton : « Non! J’aurais pu pourtant. Bayonne qui s’annule, mon toro d’alternative qui se casse la patte et doit être changé, la corrida ne sort pas bien. Je devais toréer 4 ou 5 corridas en 2021 qui s’annulent toutes en raison du Covid. Heureusement, Aire reporte la sienne de juin à septembre et je torée une fois (en coupant 2 oreilles).
Pendant cette « période Covid », j’ai eu la confirmation que je ne voulais faire que cela dans ma vie. Ca m’a donné plus de courage et d’envie. En 2021, j’ai pu toréer des toros en privé, aller au campo pas mal de fois, même si la période a été longue, ça maintient un objectif, l’envie. 2022 a été une année pour moi importante. Je n’ai toréé que six fois mais je ne me plains pas par rapport à d’autres toreros. Je n’avais pas de droit à l’erreur et ça s’est plutôt bien passé. En 2023 je devrais avoir plus de corridas à toréer. »
Tertulias : « Sur ces 6 corridas en 2022, il y a une vraie connection avec le public, l’as-tu ressentie, est ce que ça t’a porté? »
Dorian Canton : « Ca donne de la force, tu sens que les gens viennent te voir et te soutiennent, mais sincèrement quand tu es en piste avec le toro, tu es seul et tu penses comment construire ta faena. Après quand tu lèves les yeux, et que tu vois que le public est avec toi, ça aide à rester dans ta faena et à rester motivé pour chaque après-midi. Ca te permet aussi de rester les pieds sur terre et relativiser un triomphe car tu sais que les gens vont revenir te voir, et tu ne pourras pas te reposer sur ton succès, et il faudra être à 200% au prochain contrat surtout quand il n’y en a pas beaucoup, chaque fois c’est un nouveau départ. »
Tertulias : « En 2022, on a ressenti une évolution de ta tauromachie par rapport à tes débuts, à quoi est dûe cette métamorphose? »
Dorian Canton : « Ce sont trois années de travail « de salon ». Je me suis exhilé à Madrid pour me rapprocher de mon apoderado Olivier Mageste et de mon banderillero Augustin Serrano. J’ai eu la chance de m’entraîner avec le maestro Uceda Leal qui m’a apporté sa touche de clacissisme et un toreo plus relâché. Je cherche à toréer de manière très classique, le plus vertical possible, et quand le toro le permet de pouvoir me relâcher. J’ai aussi envie de pouvoir toréer comme je le ressens sur le moment sans avoir de schéma de faena.
Bien sûr tous les toros ne le permettent pas, comme le Pedraza à Bayonne où la seule fois où je me suis relâché, je suis allé à terre. Il y a par contre des faenas, comme avec le Margé à Villeneuve, où le toro a un autre rythme et m’a permis de me redresser, d’avoir des muletazos beaucoup plus longs, plus templés, plus lents. C’est ce que je recherche, avec un enracinement du corps. Au final cette métamorphose, c’est beaucoup de travail, de toros lidiés en privé, d’analyse de vidéos et de « prise de conscience » de comment je veux toréer afin de l’adapter petit à petit à mon corps. »
Tertulias : « Tu t’es donc installé à Madrid. Pourquoi ce choix, qu’est-ce que cela t’apporte? En restant en France n’aurais-tu pas pu évoluer de la même manière? »
Dorian Canton : « Clairement en restant en France, je n’aurais pas évolué comme cela. Je suis parti à Madrid pour faciliter mes entraînements en me rapprochant d’Olivier et d’Augustin. Quand tu es à Madrid, les élevages sont plus nombreux et plus proches. Tu fais aussi pas mal de rencontres avec d’autres professionnels avec qui tu échanges. Quand tu t’entraînes au Batan, ça ne parle que du toro. Je me suis sorti de ma zone de confort. N’ayant jamais vécu en ville, avec Madrid je suis servi. Je n’étais jamais sorti du cocon familial. Là aussi avec la distance, je ne vois pas souvent ma famille. »
Tertulias : « Que cherches-tu à travailler spécifiquement dans ton toreo? »
Dorian Canton : « L’enracinement, la verticalité, le relâchement..la profondeur du muletazo. Avoir plus de soltura au capote et, que mes mouvements et le déplacement des jambes soient fluides. A l’épée c’est une quête personnelle, un peu spéciale, c’est à la fois simple et compliqué. Je sais comment je veux estoquer, avec une manière très classique. C’est un enchaînement, un positionnement du corps, il faut savoir décomposer les temps, donc il faut répéter sans cesse et le mettre en pratique face au toro. C’est sûrement le plus dur! »
Tertulias : « Pour t’exprimer au mieux quel est ton toro idéal? »
Dorian Canton : « Un toro qui soit bon et qui embiste (rires). Après qu’il soit de Domecq, Nuñez, Buendia, Santa Coloma, peu m’importe…même si à ce jour je suis moins à l’aise avec le Santa Coloma qui demande beaucoup de précision, une technique et une approche spécifique que je dois encore plus travailler. Après, un grand toro de Santa Coloma va me faire vivre plus d’émotions, qu’un toro moyen de Domecq. Tant que le toro va où je lui dis d’aller, ça me va.
J’ai eu de tout cette année. Le Pedraza de Bayonne avait beaucoup de tranmission mais avec une embestida très dure, brutale et si je me suis senti bien avec le toro c’est parce que je sentais qu’il y avait une communion avec le public. J’ai préféré la charge du Robert Margé de Villeneuve plus douce, qui m’a permis d’exprimer plus ce que je souhaite car le toro avait de la classe et une charge qui allait jusq’au bout du muletazo. Le toro de Gallon, pour débuter cette année à Arzacq, m’a permis aussi ce relâchement et cette verticalité.»
Tertulias : « Qu’est-ce qui te fait avancer dans ta vie d’homme et de torero? »
Dorian Canton : « L’ambition, le défi, la motivation. Même quand ça a été dur quand je ne toréais pas, de ne pas rentrer dans les arènes, d’être en dehors de certains cartels. Ca m’a motivé encore plus! »
Tertulias : « On arrive à se sentir torero quand on ne torée pas? »
Dorian Canton : « Oui. A aucun moment, je me suis dit que ne toréairai plus. Donc tout ce que j’ai fait, je l’ai fait en torero, je l’ai réfléchi en torero. C’est quand tu n’as plus aucun objectif que cela devient difficile. L’objectif te motive, donne du sens à ce que tu fais. »
Tertulias : « Quand tu arrives dans un patio, tu parais toujours tranquille. Est-ce vraiment le cas? »
Dorian Canton : « Je suis assez tranquille quand j’arrive aux arènes, même si bien sûr il y a de la peur. J’essaie d’être calme, j’arrive à faire abstraction de tout. Je suis dans ma bulle. Quand j’arrive, il y a déjà beaucoup de monde au patio. J’aime passer par la chapelle où je peux m’isoler »
Tertulias : « La chapelle, c’est juste un lieu de concentration? »
Dorian Canton : « Non, j’y vais pour prier. Il est rare que je reste dedans après m’être recueilli. Le monde ne me dérange pas et je me sens plutôt bien dans un patio. »
Tertulias : « Peut-on réussir aujourd’hui en étant français? »
Dorian Canton : « J’espère bien, sinon je suis mal (sourires). Il y a des exemples Nimeño II, Sébastien Castella, Juan Bautista qui l’ont fait. Je crois réellement que c’est possible même si le marché espagnol est très fermé. La vraie réponse à toutes ces difficultés, elle est sur le sable des arènes. Mieux tu seras, mieux tu toréeras, et si à chaque fois c’est un « zambombazo », naturellement le marché va finir par s’ouvrir. Etre français demande peut-être plus de temps mais si tu fais les efforts, les sacrifices nécessaires, que tu as les qualités recquises pour y arriver et un peu de chance, il n’y a pas de raison qu’un français ne soit pas une figura. »
Tertulias : « Comment vis-tu la concurrence avec les autres toreros français? »
Dorian Canton : « Je la vis très bien. Bien sûr quand tu vois un compañero intégrer un cartel où tu aimerais être, ça t’énerve un peu. Mais c’est surtout là-aussi, une source de motivation pour faire en sorte que la prochaine fois on pense à toi. Le toro met toujours au final tout le monde à sa place. La seule vérité c’est l’arène. J’ai encore le temps, je vais avoir vingt-deux ans, la retraite ce n’est pas pour demain!»
Tertulias : « Pour rebondir sur ce sujet , comment sont comptabilisés tes contrats? »
Dorian Canton : « Il faut que je me fasse riche avec les toros. Pour chaque contrat, je suis déclaré comme intermittent du spectacle mais pour avoir le statut, il est nécessaire d’avoir 43 cachets dans l’année. C’est donc pour un français impossible, donc tout ce que je cotise à chaque contrat, je ne pourrais pas le récupérer.»
Tertulias : « La France c’est aussi la PPL Caron, comment as-tu vécu cette période? »
Dorian Canton : « Préoccupé, agacé, enervé car c’est une attaque qui dépasse la tauromachie. C’est une attaque de la ruralité. J’ai tous les « vices », je chasse, je pêche, je suis matador de toros, mon père a une ferme avec des vaches, bref… C’est facile et simple d’attaquer la corrida, mais si nous lâchons ce qui fait notre identité, c’est tout le reste qui est en danger. Tu vois je ne suis pas persuadé qu’à Paris, un chien ait demandé à vivre en appartement dans 30m2 et que ce soit sa nature de le faire. Un toro lui, vit à l’air libre sur des centaines d’hectares au milieu de la nature. Chacun a sa définition du bien être animal. Heureusement il y a eu une réaction des gens, des politiques mais on est pas passé loin!»
Tertulias : « L’Association des Matadors Français renaît de ses cendres, tu en es le porte parole pour le sud-ouest, quel est ton rôle?»
Dorian Canton : « L’association est repartie pour montrer que les matadors existaient, allaient faire des actions. Comme Rafi, pour le sud-est, l’idée était de mettre des jeunes comme représentant. On va aller au salon de l’agriculture pour être aux côtés des éleveurs et expliquer ce qu’est le monde du toro (ndlr : l’entretien a été réalisé avant le salon de l’agriculture), on mène d’autres réflexions sur l’accompagnement médical dans les arènes, sur la couverture sociale..»
Tertulias : « Quel est ton rêve en 2023? »
Dorian Canton : « Rêve? C’est un bien grand mot. J’ai envie surtout de triompher dans chacune des arènes où je serai. Que je me sente bien avec les toros, que je montre encore plus comment je veux toréer, que je puisse m’affirmer, me démarquer et revendiquer des postes dans d’autres arènes! »
Tertulias : « Pour finir, trois raisons pour une empresa de contracter Dorian Canton? »
Dorian Canton : « Je crois amener du monde aux arènes notamment des jeunes aficionados, j’apporte de la fraîcheur avec une tauromachie classique qui se perd, et je suis un jeune qui a de l’ambition et l’envie de se démarquer.»
Propos recueillis par Philippe Latour.