Le matador de toros natif du Sud-Ouest ne serait pas contre quelques paseos dans notre région. Interview.

Objectif Gard : Pouvez-vous vous présenter ?

Dorian Canton : Je suis né en 2001, j’ai grandi à Asson entre Pau et la montagne, je suis fils d’agriculteur et je me suis pris de passion pour les toros vers l’âge de sept ans un peu par hasard. Je ne voulais pas rester avec mes sœurs, qui sont jumelles. Et avec mon père et mon oncle, qui n’étaient pas plus aficionados que ça, nous sommes allés à une course à Aire-sur-Adour. J’ai accroché à mort et je les ai poussés à me ramener, vers huit ou neuf ans, à Béziers où j’ai vécu ma première Miurada ! C’était un coup de foudre, l’héroïsme du matador, la peur, les arènes étaient pleines, le toro était immense, je me souviens une émotion énorme, ça m’a subjugué et j’ai voulu voir plus loin ! Ce fut fondateur. Comment peut-on se mettre devant un mammouth et ne pas bouger ?

Vous vous êtes alors rapproché d’une école taurine ?

Je me suis renseigné, j’ai regardé des choses sur Internet pour bien comprendre comment ça marchait, puis j’ai acheté quelques livres pour comprendre la technicité et mes parents m’ont toujours soutenu malgré leur peur. Chez moi, je n’ai que des Blondes d’Aquitaine alors je ne comprenais pas pourquoi on avait sélectionné ce genre de toros. J’ai essayé mais je me suis vite rendu compte que la Blonde d’Aquitaine ne chargeait pas… Après, j’ai trouvé Adour Aficion, l’école taurine de Richard Milian.

Richard Milian… Un nom apprécié dans le coin !

Il est Catalan et j’arrive chez lui en 2010. J’y suis resté huit ans et j’y ai appris les bases. Il a pour avantage d’inculquer la difficulté de la chose. Il est très conscient des dangers.

 

Dorian Canton (Photo Philippe Latour)

Dorian Canton (Photo Philippe Latour)

Avez-vous conscience de la mort ?

Oui, mais cela ne me bloque pas. On peut craindre, physiquement, une blessure. Je suis conscient que le toro peut me tuer mais je n’y pense pas. Un jour, alors que j’avais dix ans, j’ai eu le malheur de me faire attraper par une vache et de lui dire qu’elle m’avait fait mal… Il m’a regardé et m’a dit que dans les toros on n’avait jamais mal. Maintenant quand j’ai mal, je ne le dis plus ! C’est bête mais ce genre de détails font la différence.

La carrière se poursuit vers la novillada sans picadors avec des courses partout en France comme en Espagne.

Oui et pour en venir au Gard, j’ai toréé à Bellegarde. Je n’y suis venu qu’une fois de novillero mais j’y ai gagné le premier trophée Sébastien Castella ! C’est la seule fois où j’ai toréé dans la région sans pluie ni vent… Les échanges entres les écoles taurines sont bien pour cette catégorie, c’est après que c’est devenu plus dur.

En effet, on ne vous a plus revu…

La malchance est arrivée quand j’ai commencé en piquée. Je devais venir me présenter à Vergèze mais c’était l’année de l’annulation à cause du novillo qui s’était échappé. Derrière, mon alternative était déjà prévue à Bayonne en juillet (elle fut annulée à cause de la pluie et Dorian Canton a pris son doctorat à Villeneuve-de-Marsan, NDLR). Puis, Covid et nous voilà aujourd’hui où on repart comme en novillada où je ne torée que dans le Sud-Ouest !

Pourtant 2022 a été une grosse temporada pour vous, non ?

Oui ! J’ai fait six paseos en France, je suis sorti en triomphe après cinq d’entre eux et j’ai coupé deux oreilles à la corrida de l’opportunité de Bayonne. J’avais peu toréé et ça a marché.

Dorian Canton (Photo Laure Crespy)

Dorian Canton (Photo Laure Crespy)

Puis 2023, année des blessures…

Oui… J’ai commencé la saison et je me suis blessé à Aignan, j’ai perdu un mois. Puis j’ai repris avant de me sectionner les tendons de la main droite. Je me suis fait opérer à l’excellente clinique de la main, ici à Nîmes mais même en reprenant très tôt j’avais perdu la moitié de la saison. J’ai perdu tout le mois de juin et une bonne partie de juillet pour la rééducation. J’avais sept corridas de prévues et j’en avais déjà raté trois avant un gros cartel à Mont-de-Marsan avec Castella et Luque… La main a tenu mais si le tendon lâchait, tant pis, j’étais prêt et j’ai continué la saison. J’ai manqué un peu d’entraînement devant les toros. Année noire.

Il faut préparer 2024, comment cela se passe ?

Tout se passe bien ! Je suis venu dans la région pour tienter et tuer un toro en privé chez Gallon et Durand. Je vais tienter en Espagne, notamment chez Baltasar Iban car j’ai une corrida de cette ganaderia de prévue. Je vais où on m’appelle et parfois je tape aux portes mais c’est un hiver très classique ! Je commencerai la saison par un festival dans quelques jours à Arzaq où je dois tuer un Gallon.

Et la suite ?

Aignan fin mars. Je suis très content car ma mère a des origines gersoises et je suis heureux d’y aller. J’irai aussi à Mont-de-Marsan, à La Brède, Eauze…

Et le Sud-Est ?

Absolument rien pour l’instant. Le trophée Sébastien Castella n’est pas ouvert aux matadors de toros (rires) ! Mais si quelqu’un m’appelle je viens en courant ! Des capeas aux novilladas sans picadors tout s’est toujours très bien passé ici, j’aime ce public chaleureux mais de matador de toros je ne sais pas. Je ne veux pas rester un torero régional ! Petit, je rêvais déjà d’aller à Nîmes, à Arles et à Béziers bien sûr. Ce sont des arènes immenses et à Nîmes j’ai vu Jose Tomas en 2011 avec Thomas Dufau.

Vous savez qu’à Nîmes, le matador qui se présente confirme son alternative…

Oui. Nîmes est vraiment un rêve ! Simon Casas est le plus grand impresario de l’histoire, je ne le connais ni personnellement ni professionnellement, mais c’est un immense monsieur. Il a réussi à faire tant de choses dont avoir les arènes de Las Ventas en étant Français… Mais j’aimerais confirmer tant qu’il est là ! Aller à Madrid en tant que matador, j’ai fait deux paseos de novillero, serait aussi très bien ! Si tout cela arrive cette année ça arrivera, si c’est plus tard ce sera plus tard. C’est un rêve.

Nous aurions dû commencer par là, mais comment décririez-vous votre tauromachie ?

Je suis poderoso des deux mains, même si ma main gauche est ma main forte alors que je suis droitier. Je cherche à être classique, pur, vrai dans la verticalité, à être le plus naturel possible donc à être droit. C’est dur, c’est joli, ça coûte et pour mille raisons c’est dur à mettre en place et encore plus dur à répéter mais je m’entête !

Dorian Canton (Photo YT)

Dorian Canton (Photo YT)

Et devant quels types de toros ?

J’aime l’encaste Domecq même s’il est décrié, il est exceptionnel. J’aime beaucoup aussi le Santa Coloma pour sa charge ralentie ou encore le Coquilla et le Baltasar Iban auquel je dois m’habituer avant la course que j’ai bientôt. On doit être sûr de soi et ne pas douter. Je pense qu’un mauvais toro de chez Victoriano del Rio, par exemple, est plus dur et dangereux que ceux-là alors… C’est parfois un piège !

Et une Miurada vu votre passé et celui de votre mentor ?

Par défi, j’espère y arriver car ça voudra dire que ma carrière a avancé plutôt bien et que je pourrai me permettre de faire ce choix par envie.

Dans ce milieu, l’entourage proche est primordial pour avancer en confiance et en sécurité.

Je suis avec ces gens depuis des années. Olivier Mageste m’apodère depuis plusieurs années, Jérôme Courtiade est mon valet d’épée depuis mes débuts en becerradas. On a besoin de gens avec lesquels d’un regard on se comprend. On se connaît par cœur. Après toute la saison en banderillero j’ai Agustin Serrano, un Madrilène car j’habite à Madrid pour être au point zéro du monde des toros ! Je prends aussi Manuel de los Reyez et bien sûr El Monteño, Mathieu Guillon. Mes picadors sont Juan Manuel Sanguesa et Rafael Agudo. Ma cuadrilla est solide et de confiance.

Je suis empresa, pourquoi j’appelle Dorian Canton ?

Je me sens plus mûr, j’ai plus d’expérience, je comprends plus vite et je suis encore plus déterminé car je veux m’ouvrir une voie. Il faut que je démarre après la période Covid et une année de blessure. Je suis nouveau, je suis suivi par les aficionados du Sud-Ouest qui adorent venir ici. Le jour où je dis que je torée à Nîmes, je suis sûr que trois bus viennent !

Je suis aficionado, pourquoi j’irai voir Dorian Canton ?

Pour trouver une tauromachie très pure et très classique. J’essaie de me donner à 100 % à chaque paseo. L’aficion du Sud-Est ne me connaît pas, je ferai tout pour être une bonne surprise, une découverte. J’aime m’inspirer du Yiyo, Antoñete, Paco Camino… J’aime bien entendu Jose Tomas ou Roca Rey, même s’il est presque de ma génération. Je vais tout faire pour toréer avec lui mais c’est un concurrent. Je ne veux pas être une copie, c’est toujours moche !

Vos points faibles, dans la vie comme dans les arènes ?

Dans la vie, je n’en ai pas ! Je suis parfait… Non, je suis un peu égoïste, très peu mais quand même. C’est dur comme question ! Je suis un peu têtu, y compris devant les toros donc je dois gagner en souplesse mentale sans me dénaturer.

Vous l’avez compris, donnez-nous vos points forts !

Dans ma vie, je suis chasseur et pêcheur, proche de la nature, un vrai écologiste pas comme les faux écolos que l’on voit maintenant… Mes chiens ne sont pas en laisse, ils ne vivent pas dans un 30M2 à Paris, ils n’attendent pas que quelqu’un les sorte si ce quelqu’un a le temps de les sortir, c’est ça la maltraitance… Les miens sont en liberté. Dans les arènes, être têtu peut être un point fort ! Je m’entête à toujours chercher quelque chose de nouveau et de précis, j’aime le positif. Mes points forts sont ma main gauche, je tue bien, j’arrive à me canaliser, je ne suis jamais euphorique. J’arrive à garder mon sang-froid. C’est un tempérament, je relative si j’ai été mauvais et je ne m’enflamme pas si j’ai été bon. Si j’ai été bon, il me faut répéter et si j’ai été mauvais je dois me rattraper !

Pour terminer léger, il paraît que vous toréer sous la douche ?

(Rires) Certains chantent. Moi, c’est vrai que je torée. 95 % de mes douches, je les prends en toréant, surtout quand le jour J approche. Je m’imagine plein de scénarios toujours exceptionnellement bons, ça me met en confiance et ça me rebooste mais sur le moment, sur le sable, j’oublie tout ! Je n’ai jamais réussi à faire, et c’est tant mieux, une faena que j’avais rêvé. Finalement, tout est spontané, dans l’inspiration et l’émotion du moment. Je veux vraiment me réinventer, être surprenant. Je sens que je progresse, que je ne suis pas le même, le public me le dit et j’aime ça mais je n’ai pas fini !